samedi 9 mai 2015

MEURSAULT, CONTRE-ENQUÊTE - Kamel DAOUD - Algérie - Actes Sud

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« C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le rèvolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et, c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. »

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L'assassin s'appelait Meursault, la victime était un Arabe qui n'avait ni nom, ni prénom...
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Meursault, contre-enquête...
Un contrepoint surprenant, commeun miroir du livre écrit par Camus en 1942...
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Mais qui est donc l'Arabe tué par Meursault ?
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Dans un bar, de nombreuses années après le meurtre, Haroun, un vieil homme, se souvient et raconte...
Comment, pendant toute sa vie, il a voulu ...
Donner une histoire à Moussa, son frère "mort dans un livre" un jour sur une plage...
Le faire revivre, lui rendre hommage,
Le venger aussi, en tuant un Français au début de l'Indépendance (et ainsi paradoxalement devenir un peu semblable à Meursault).
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En filigrane le vieil homme évoque également la colonisation et nous fait part de sa vision pessimiste sur la société algérienne actuelle.
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Un ouvrage fascinant !
Une composition absolument virtuose...
Une écriture remarquable : forte et lumineuse...
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Finaliste (malheureux bien que favori) du Goncourt 2014, Kamel Daoud vient d'obtenir (mai 2015) le
Goncourt du Premier Roman.
Lauréat également du...
Prix des 5 Continents de la francophonie 2014 et du
Prix François Mauriac 2014. 
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Extraits :

"...Le premier savait raconter, au point qu'il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu'il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n'a même pas eu le temps d'avoir un prénom."
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"...un homme qui sait écrire tue un Arabe qui n'a même pas de nom ce jour-là...puis se met à expliquer que c'est la faute d'un Dieu qui n'existe pas...."
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"Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C’est comme la négritude qui n’existe que par le regard du Blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. Eux étaient les 'étrangers' , les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l'épreuve, mais dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l'autre, c'était certain. C'est pourquoi on ne leur répondait pas, on se taisait en leur présence et on attendait, adossé au mur."
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"La mort, aux premiers jours de l'Indépendance, était aussi gratuite, absurde et inattendue qu'elle avait été sur une plage ensoleillée de 1942."
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"La vérité est que l’Indépendance n’a fait que pousser les uns et les autres à échanger leurs rôles. Nous, nous étions les fantômes de ce pays quand les colons en abusaient et y promenaient cloches, cyprès et cigognes. Aujourd’hui ? Eh bien c’est le contraire ! Ils y reviennent parfois, tenant la main de leurs descendants dans des voyages organisés pour pieds-noirs ou enfants de nostalgiques, essayant de retrouver qui une rue, qui une maison, qui un arbre avec un tronc gravé d’initiales."
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"La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé."
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"D'ailleurs, mon cher ami, le seul verset du Coran qui résonne en moi est bien celui- ci:"Si vous tuez une seule âme, c'est comme si vous aviez tué l'humanité entière ."

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"Ha, ha ! Tu bois quoi ? Ici, les meilleurs alcools, on les offre après la mort, pas avant. C'est la religion, mon frère, fais vite, dans quelques années, le seul bar encore ouvert le sera au paradis, après la fin du monde."
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"Elle appartient à un genre de femme qui aujourd'hui, a disparu dans ce pays : libre indépendante, conquérante, insoumise et vivante. Elle vit son corps comme un don, non comme un péché ou une honte."
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Première et dernière phrase....
De "L'Etranger" :
"Aujourd'hui, maman est morte."
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"Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine."
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De "Meursault, ..." :
"Aujourd'hui M'ma est encore vivante."
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"Je voudrais, moi aussi, qu'ils soient nombreux, mes spectateurs, et que leur haine soit sauvage."
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Kamel Daoud
né à Mostaganem en 1970
Journaliste au Quotidien d'Oran et Ecrivain.
(il est l'objet d'une fatwa émise en 2014 par un iman salafiste)

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Il a écrit plusieurs récits : certains ont été publiés sous le titre "La Préface du nègre"...
 
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2 commentaires:

  1. Quelqu'un que je ne connais pas et qui, visiblement, mérite intérêt. Un titre que je note encore. Je l'aurai acheté avant la fin de la semine. Pour un triple intérêret : littéraire, évidemment, et parce que je reste fasciné par tout ce qui intéresse l'Algérie et le conflit qui nous a opposés à elle il y a 60 ans ...

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  2. Jean-claude ,ce livre de Camus m'a remué lors de mon adolescence et Meursault contre-enquête m’intéresse à un plus haut point!
    Tu dois être au top en cette période de festival de Cannes (ou j'ai habité fin des seventies mais je suis arrivé à la fin d'été et reparti début Mai avant le début du festival! ah je précise je suis né à Nice et je suis dans l’Hérault en rapport au divorce de mes parents
    Amitiés cinéphiles
    marc nesci

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